Modèle régional du climat
Résumé
L'étude des impacts climatiques potentiels résultant de changements, anthropiques ou naturels, de la composition de l'atmosphère préoccupent un grand nombre de secteurs de notre société. La modélisation numérique du climat est le seul outil doté d'une base physique qui puisse être employé pour étudier les changements possibles. Un modèle régional du climat (MRC) permettra d'étudier les changements climatiques avec une résolution jusqu'ici impossible à atteindre avec les modèles mondiaux de circulation générale (MCG) existants. La résolution spatiale accrue d'un MRC permettra de mieux comprendre certains phénomènes, comme ceux reliés au cycle hydrologique dont les échelles spatiales sont, par nature, très fines.
Un MRC, une fois développé, deviendra un outil spécialisé, à la fine pointe de la science dans le domaine, pour les études d'impacts climatiques et environnementaux pour une vaste gamme de problèmes: cet outil pourra par la suite être intégré dans des systèmes-experts économiques, biologiques ou autres, pour former une base décisionnelle plus ferme.
Un grand nombre d'activités humaines ou industrielles sont sensibles au régime climatique de leur environnement. Toutes ces activités sont éminemment intéressées par les études d'impacts des changements climatiques potentiels. L'intérêt se situe le plus souvent à l'échelle régionale, alors que l'information fournie par les modèles mondiaux MCG existants ne va pas en deça d'environ 500 km au mieux. Un modèle régional MRC piloté par un MCG permettrait d'augmenter par un ordre de grandeur la résolution de ces simulations dynamiques sur une région prédéterminée. Les informations obtenues par un MRC devraient être d'un grand intérêt pour nombre de groupes. Un MRC est un outil général qui peut être utilisé pour étudier une vaste gamme de problèmes dans lesquels il y a un élément météorologique. Au terme du projet proposé, le MRC développé sera disponible pour faire des études d'impacts spécialisés que des usagers potentiels pourraient vouloir entreprendre. Un MRC deviendra ainsi un outil important pour la planification à long terme dans de nombreux secteurs d'activités.
Virtuellement tous les usagers actuels des données climatiques devraient être enthousiastes de la disponibilité de données de modèles à fine échelle; ceci inclut entre autres:
Environnement Canada, incluant le Centre climatologique canadien, recherche et applications.
Agriculture et Forêts Canada.
Gestion forestière, incluant recherche sur les feux de forêts.
Compagnies hydroélectriques comme Hydro-Québec.
Compagnies de consultation environnementale, comme Météo-Globe et Lavalin-Environnement.
Firmes de géographes-conseils.
Développement d'un modèle régional du climat (MRC)
La recherche en cours vise à développer un modèle météorologique pour la simulation du climat à l'échelle régionale Le modèle numérique développé, de par sa nature régionale plutôt que mondiale, permettra d'atteindre des résolutions spatiales plus fines que celles accessibles aux modèles de circulation générales mondiaux (MCG). Le modèle régional du climat (MRC) sera piloté par le MCG canadien qui lui fournira les conditions aux frontières latérales du domaine limité. La base dynamique et numérique du MRC sera le modèle régional semi-lagrangien, originellement développé par Robert (1981, Atmosphère-Océan) et rendu non-hydrostatique par Tanguay, Robert et Laprise (1990, Monthly Weather Review). Par sa maille plus fine, un MRC permettra de mieux simuler le cycle hydrologique dans le système climatique: cet aspect est celui qui est le moins sûr dans les simulations climatiques des MCG globaux actuels à faible résolution spatiale. De plus, la maille plus fine permettra d'assimiler avec plus de précision les détails de la surface de la terre, comme les irrégularités topographiques ou les types de sol et de végétation.
Qui plus est, un MRC pourra aussi être utilisé dans les études d'impacts environnementaux de développement d'infrastructures, comme l'établissement de barrages hydroélectriques, qui sont susceptibles de perturber les conditions locales en inondant de vastes régions territoriales. Une fois développé, un MRC sera un outil de gestion fort utile pour tous les groupes qui utilisent les sorties des MCG comme paramètre de leurs modèles de planification et qui désireraient obtenir des données à plus fine échelle.
Description de lapproche
Les modèles de circulation générale de l'atmosphère (MCG) constituent l'outil le plus sophistiqué et doté d'une saine base physique, pour (1) étudier et comprendre les processus qui entretiennent le climat et (2) anticiper d'éventuels changements climatiques. La nature mondiale de ces modèles impose toutefois une sérieuse contrainte quant à la résolution spatiale des simulations numériques qui peuvent être réalisées. En effet, la loi de Courant dicte que le nombre d'opérations à effectuer augmente comme le cube de la résolution horizontale. Ainsi, diminuer la maille par un facteur dix par rapport à la valeur actuelle de l'ordre de 500 à 1000 km augmenterait le temps d'intégration au point que le temps simulé s'écoulerait plus lentement que le temps réel, et ce même sur les plus puissants ordinateurs disponibles: ceci serait de peu d'utilité pour étudier les changements climatiques anticipés.
La seule façon envisageable pour contourner cette situation consiste à diminuer le nombre de calculs requis en augmentant la résolution seulement sur un sous-domaine du globe. Le concept de modèle régional du climat (MRC) consiste à employer pour les études climatiques une méthodologie éprouvée pour les prévisions à court terme, celle de modèle météorologique à domaine restreint piloté par un modèle mondial (´nested limited-area modelª en anglais).
La problématique
Ce projet proposé vise à développer un modèle numérique informatique appelé ´modèle régional du climatª (MRC). Un MRC est une extension des ´modèles de circulation généraleª (MCG) existants qui, se basant sur les principes physiques régissant l'évolution à grande échelle de l'atmosphère terrestre comme un fluide, visent à mieux comprendre les processus qui entretiennent la circulation atmosphérique, la balance des échanges responsables pour ce maintien et, le cas échéant, les processus susceptibles d'altérer notre climat actuel. À cause de leur ampleur, les modèles dynamiques de l'atmosphère réussissent à reproduire avec fidélité plusieurs éléments de la circulation générale qui sont responsables de la distribution observée des climats à la surface de la terre et de leurs variations saisonnières. Comme ces modèles incorporent la plupart des éléments de rétro-action susceptibles de jouer un rôle dans les variations climatiques, les MCG constituent l'outil le plus complet et, pour le moment, le seul outil fiable et d'application générale pour étudier les changements climatiques potentiels résultant de l'augmentation de la concentration des substances radiativement actives, d'origine anthropogénique ou naturelle, dans l'atmosphère.
Les études scientifiques sont unanimes quant à la direction des changements de température résultant du doublement anticipé du dioxide de carbone. Ces résultats varient quant à l'ampleur du réchauffement anticipé et à sa distribution géographique, mais ils s'accordent sur un réchauffement plus prononcé dans les régions polaires. La plus grande incertitude de ces études se situe au niveau des changements hydrologiques potentiels associés à l'effet de serre. Ces changements pourraient évidemment avoir des impacts directs sur l'agriculture, l'exploitation forestière, la qualité de l'eau, la navigation fluviale et le potentiel hydroélectrique, entre autres.
Quoique les MCG soient l'outil le plus complet pour étudier le climat, on constate qu'ils ne fournissent que peu d'information à l'échelle régionale à cause de leur faible résolution spatiale. La loi de Courant régissant le nombre d'opérations nécessaires pour intégrer les modèles météorologiques stipule que le temps d'intégration de ces modèles augmente comme le cube de la résolution horizontale. C'est donc dire que l'intégration d'un modèle mondial avec une maille d'environ cent kilomètres serait mille fois plus longue qu'avec la maille de l'ordre de mille kilomètres couramment utilisée. Ainsi, comme les modèles actuels ne sont qu'environ mille fois plus rapides que le temps réel, il faudrait aussi longtemps pour intégrer un modèle mondial à haute résolution que d'attendre que la nature fasse elle-même l'expérience sous nos yeux!
État de la question
Une alternative à un modèle mondial à haute résolution consiste à augmenter la résolution sur une région limitée seulement, tout en conservant une résolution modeste sur le reste du globe. Cette approche, qui mène à ce qu'on appellera un ´modèle régional de climatª (MRC), applique au problème de simulation du climat sur des échelles régionales une technique éprouvée dans la prévision météorologique à court terme. Un MCG devient ainsi la pierre angulaire sur laquelle s'appuie un MRC puisqu'il ´piloteª ce dernier, c'est-à-dire que le MCG fournit au MRC les conditions qui lui sont nécessaires aux frontières. En d'autres termes, développer un modèle régional de climat à partir d'un modèle de circulation générale revient à ´ouvrir une fenêtreª dans le MCG pour obtenir une plus haute résolution sur un domaine plus limité. Le domaine et la résolution du MRC sont ajustables, mais demeurent évidemment fonction des contraintes de la puissance de calcul disponible.
Une première expérience dans cette direction a été tentée récemment au National Center for Atmospheric Research (NCAR) par Giorgi (1990) et ses collègues en couplant le MCG ´Community Climate Modelª avec le modèle régional de ´Penn Stateª. Les expériences effectuées à NCAR en sont encore dans leur premiers stages. Il faut préciser que les deux modèles couplés dans cette étude n'ont rien en commun dans la formulation de leur paramétrages physiques: ce manque d'intégration dans leur conception est susceptible d'engendrer des difficultés. Peu d'informations sont disponibles sur les problèmes de couplages rencontrés dans cette étude; toutefois les résultats préliminaires sont prometteurs.
L'équipe mise sur pied pour le développement dun MRC dispose d'une expertise de calibre international sans pareil au Canada. Les membres de l'équipe originale qui a travaillé au développement du MCG canadien s'y retrouvent, ainsi qu'A.Robert qui est une sommité internationale dans le domaine des modèles numériques. L'expertise acquise au développement du MCG a une valeur inestimable. En fait, le MCG canadien est très bien coté mondialement: voici quelques raisons majeures qui contribuent à ce succès. Ce modèle fut le premier à incorporer un élément de traînée orographique qui avait été jusqu'alors négligé dans les modèles. Les paramétrages physiques du MCG ont été implanté avec un souci constant de s'assurer qu'ils soient bien balancés: beaucoup de travail a été mis spécialement dans le domaine de la couche limite (spécification de la variation des flux en fonction de la stabilité de la couche de surface) afin de diminuer les biais systématiques communs à de tels modèles, et pouvoir reproduire fidèlement le climat actuel. Le MCG canadien dispose aussi d'un ensemble de programmes d'analyse diagnostique (probablement sans pareil mondialement) qui a été développé par la même équipe au Centre climatologique canadien.
Les membres de l'UQAM, pour leur part, ont récemment développé un modèle régional à la fine pointe quant à sa formulation dynamique et numérique. Ce modèle utilise la méthode semi-lagrangienne pour une économie de temps de calcul par un facteur 3 ou 5 par rapport à des schémas eulériens conventionnels. Récemment ce modèle a été rendu non-hydrostatique en solutionnant les équations d'Euler. Cette généralisation élimine toute restriction quant à la dimension minimale de la maille permise, et permet maintenant d'utiliser un même modèle aussi bien pour des prévisions du temps à grande échelle que pour des simulations à l'échelle convective. Une telle formulation n'était pas possible auparavant à cause du coût exorbitant de cette formulation. L'exploit de l'équipe de l'UQAM a été de mettre au point une stratégie numérique employant une extension de la méthode semi-implicite qui amène des économies de calcul par un facteur mille par rapport à des intégrations de type explicite. Ainsi formulé, ce modèle non-hydrostatique n'est guère plus coûteux à intégrer que les modèles hydrostatiques conventionnels, sans avoir les restrictions de ceux-ci. L'expertise développée avec l'établissement de ce modèle sera d'un grand atout pour la résolution de problèmes numériques qui pourront surgir durant le déroulement du projet proposé.
Le projet
Un MRC constitue une sorte d'interpolateur sophistiqué pour inférer l'impact, à l'échelle régionale, de changements climatiques qui affectent dans la circulation à l'échelle planétaire. Vu qu'un MRC incorpore tous les éléments dynamiques et physiques d'un MCG et possiblement d'autres qui deviendront accessibles vu la finesse de la maille, il est en mesure de correctement simuler les processus de rétro-action qui peuvent être importants dans une étude climatique à l'échelle régionale. Aucun interpolateur "empirique" tentant de déconvoluer les données d'un MCG à faible résolution ne pourrait espérer atteindre ce but.
Les chercheurs du département de physique de l'UQAM travaillent déjà au développement d'un modèle météorologique régional. Ce modèle développé initialement par Robert (1981) en employant les techniques numériques efficaces, semi-lagrangien et semi-implicite, a depuis été étendu pour pouvoir aussi modéliser des écoulements non-hydrostatiques par Tanguay, Robert et Laprise (1990). Plusieurs étudiants de deuxième et troisième cycles travaillent sur le perfectionnement de divers aspects de ce modèle. Ces techniques numériques sophistiquées, mathématiquement complexes et d'implantation délicate, permettent d'énormes économies de temps de calcul: c'est au prix de ces complications que des modèles à l'avant-garde peuvent être intégrés, devançant la disponibilité de facilités informatiques.
Le projet proposé consiste à baser le développement d'un MRC sur ce modèle régional qui est à la fine pointe quant à sa formulation numérique et dynamique. Simplifié à l'extrême, le projet proposé consiste à transporter et/ou adapter les paramétrages physiques du MCG canadien dans le modèle régional, à piloter ce dernier aux frontières latérales par les données du MCG, et à étudier l'impact d'une résolution accrue sur une fenêtre prédéterminée.
Plusieurs éléments devront être étudiés avec soin afin d'obtenir des simulations fiables. Les détails de la technique de pilotage pour de très longues intégrations d'un MRC haute résolution par un MCG à faible résolution (c'est-à-dire la façon de transmettre l'information de la grande échelle à l'échelle d'une région), doivent être éclaircis: les tampons-éponge qui assurent un couplage adéquats aux frontières latérales, libre de réflections numériques fictives, devront être réévalués pour ces intégrations à longue échéance sans précédents. L'expertise de membres du groupes dans ce domaine permet d'envisager d'éventuelles difficultés de parcourt avec confiance. Il faudra étudier avec soin le compromis résolution / domaine de la maille du modèle régional ainsi que le temps de développement de détails à l'échelle régionale sur la maille fine. Le paramétrage adéquat des effets de sous-échelle dans deux modèles de résolution différente pose aussi un défi scientifique intéressant: l'expertise développée avec le MCG quant à la calibration et la validation des effets physiques sera un atout important dans le développement de semblables paramétrages dans le MRC.
Chercheurs scientifiques impliqués
Au Département de physique de lUQAM
R.Laprise Aspects dynamiques, numériques et informatiques.
J.-P.Blanchet Transferts radiatifs et inter-relations entre le rayonnement et les nuages.
A.Robert Aspects numériques.
Au Centre climatologique canadien
G.J.Boer Analyse des résultats et comparaison avec les observations.
N.A.McFarlane Paramétrage des effets densembles de phénomènes de sous-échelle.
Applications éventuelles
Tel que mentionné précédemment, le rôle joué par les processus hydrologiques dans les variations climatiques est sans doute l'aspect le plus incertain de toutes les études de changements mondiaux. La difficulté surgit du fait que les processus de changement de phase de l'eau (évaporation / condensation / précipitation) prennent place sur des échelles spatiales et temporelles très fines. Une résolution entre dix et cent kilomètres apparaît comme le minimum requis pour résoudre les détails topographiques de la surface afin de modéliser adéquatement les phénomènes physiques importants pour un bilan hydrologique des bassins versants d'un complexe hydroélectrique, par exemple. Par sa maille plus fine sur une région, un MCR sera en mesure de mieux modéliser les processus humides qui sont si importants.
Comme un MRC est un outil flexible, à usages multiples, il pourra par la suite être adapté pour plusieurs investigations particulières d'impacts environnementaux. Par exemple les variations d'hydraulicité sur un bassin versant d'un barrage hydroélectrique dans l'éventualité d'un changement climatique pourraient être étudiées avec un MRC. Plus encore, l'ampleur et l'étendue de l'impact de l'établissement d'un ensemble de barrages hydroélectriques pourrait être évalué avec un MRC. L'impact sur la végétation (agriculture et foresterie) pourrait être plus adéquatement étudié avec un MRC à cause de la plus grande résolution des données simulées qui permettent une meilleur modélisation des phénomènes hydrologiques.
Références scientifiques
Boer, G.J., McFarlane, N.A., Laprise, R., Henderson, J.D. et Blanchet, J.-P., 1984a. The Canadian Climate Centre spectral atmospheric General Circulation Model. Atmos.-Ocean 22.4, 397-429.
Boer, G.J., McFarlane, N.A.et Laprise, R., 1984b. The climatology of the Canadian Climate Centre General Circulation Model as obtained from a five-year simulation. Atmos.-Ocean 22.4, 430-473.
Boer, G.J., McFarlane, N.A.et Blanchet, J.-P., 1992. Greenhouse gas induced climate change simulated with the CCC second generation GCM. J.of Climate (sous presse).
Giorgi, F., 1990. Simulation of regional climate using a limited area model nested in a general circulation model.J.of Climate 3, 941-963.
Laprise, R. et Girard, C., 1990. A spectral GCM using a piecewise-constant finite-element representation on a hybrid vertical coordinate system. J.of Climate 3(1), 32-52.
McFarlane, N.A., Boer, G.J., Blanchet, J.-P. et Lazare, M., 1992. The CCC second generation GCM and its equilibrium climate. J.of Climate (sous presse).
Robert, A., 1981. A stable numerical integration scheme for the primitive meteorological equations. Atmos.-Océan 19(1), 35-46.
Tanguay, M., Robert, A. et Laprise, R., 1990. A semi-implicit semi-lagrangian fully compressible regional forecast model. Mon.Wea.Rev.118(10), 1970-1980.